Médecine de
collectivités :
Stress, immunité et pathologies.
n'estNous avons vu dans la première partie de cet article quels étaient les liens entre le stress d'un individu ou d'une collectivité, les capacités immunitaires et le développement de maladies chroniques: dermatologie, reproduction, digestion... Dans cette seconde partie, volumineuse..., on passe à l'action:
Quels sont les signes objectifs de stress dans une collectivité? Comment les anticiper, les identifier? Et comment tenter d'aménager l'environnement pour que chaque individu d'une collectivité trouve un milieu de vie de non stressant?
Manifestations comportementales du stress
Cette courte liste qui fait le lien entre bien-être et pathologies
organiques est non exhaustive. Les signes d’anxiété sont nombreux, parfois
subtils à observer et variables selon les individus d’une même espèce. C’est
pourtant la recherche de ces signes comportementaux qui sont à prendre en
compte en pratique.
Outre les pathologies évoquées, on citera : les conduites
agressives exacerbées et / ou imprévisibles (signe de frustration), l’inhibition ou retrait, animal tremblant ou
haletant, les comportements autocentrés,
les stéréotypies (Mason, 2007 ; Mason et Rushen, 2008), changement du
niveau d’activité, diminution des comportements de jeu, vocalisations,
augmentation des mixions et des défécations (Breeda et al., 1997 ; Tuber
et al., 1999 ; Rooney, 2009), coprophagie. Pourtant ces signes peuvent
être d’expression variable selon les individus selon leur passif, leurs
capacités cognitives, leur tempérament. Ainsi, ce sont les variations de ces
comportements (augmentation des
vocalisations ou des comportements de léchage) chez un individu qui doivent
nous alerter.
Les agents stresseurs :
Dès lors que le lien entre pathologies et stress a été établi, il
convient d’identifier quels peuvent être les agents stresseurs. A un niveau
strictement législatif, le bien-être des animaux en collectivités est censé
être garanti par des normes de construction des locaux. Nous allons voir que
les facteurs de stress sont en fait bien plus nombreux et complexes à définir.
D’après Breeda et al. (1997) et Tuber et al. (1999), on peut citer :
l’isolement / confinement, le bruit (surtout s’il est intense et non
prévisible), les pertes de routines ou la nouveauté (modifications des horaires
ou du personnel), l’absence de contrôle de l’environnement et enfin des
évènements potentiellement traumatisants comme les transports, contentions,
manipulations etc.
Stress et confinement
« Il est interdit d’enfermer les animaux de compagnie et
assimilés dans des conditions incompatibles avec leurs nécessités
physiologiques et notamment dans un local sans aération ou sans lumière ou
insuffisamment chauffé ». « Pour les chiens de chenils, l’enclos doit
être approprié à la taille de l’animal, mais en aucun cas cet enclos ne doit
avoir une surface inférieure à 5 mètres carrés par chien et sa clôture ne devra
pas avoir une hauteur inférieure à 2 mètres. Il doit comporter une zone
ombragée » (Extrait de l’arrêté du 25 octobre 1982).
Au-delà de l’aspect
législatif, de nombreuses études ont mis en évidence que ces valeurs sont
définies de manière arbitraire et ne s’adaptent pas à une mise en application
concrète.
Dans une étude menée sur 350 beagles, Andersen et Hart (1955) montrent
une amélioration de la longévité lorsque les surfaces des chenils atteignent 3
m2 pour 2.5 centimètres de hauteur au garrot. La longueur de la courette doit être le double de sa
largeur pour favoriser les comportements sociaux.
Dans un chenil de 300 Bergers allemands, logés individuellement dans
des logettes de 12 m2, une restructuration des locaux a permis d’appliquer les
recommandations de Andersen et Hart (1955) soit des logements individuels de 78
m2. Prestat (1978) constate que les chiens sont « plus calmes » et
que les aboiements ne se produisent plus que très rarement. Dernier fait
important : la disparition des comportements stéréotypés.
Hetts et al. (1992) étudient l’influence du logement sur le
comportement de chiens beagle. Ils montrent que lorsqu’ils sont logés
individuellement, les chiens se déplacent significativement plus lorsqu’ils
sont dans des courettes de moins de 11 m2. Ils notent également une réduction
des nuisances sonores à partir de 11 m2. Enfin les chiens logés dans des
courettes de 55 m2 manipulent plus les objets que ceux logés dans des chenils
plus petits.
Stress et isolement.
Après avoir étudié l’influence de la surface sur le comportement en
logement individuel, Hetts et al. vont former des binômes de chiens et les
loger dans les conditions précédentes. Alors ils ne notent aucune différence
d’activité motrice, que les binômes soient logés dans 55m2, 11m2 ou
4,3m2 ! Il semblerait alors que ce soit l’isolement social qui ait plus
d’influence sur le bien-être que le confinement : la présence d’un
congénère semble être plus importante que la mise à disposition d’une surface
plus grande.
Andersen et Goldman (1960) montrent que le logement par paires est
bénéfique à l’activité sociale, à la dépense physique des chiens, diminue les
comportements d’aller et venus et les stéréotypies.
Breeda
et al. (1998) mesurent les réponses physiologiques à une période
d’isolement social et de confinement: Ils montrent une augmentation de la
concentration de cortisol urinaire et salivaire et une prolifération de
lymphocytes. Ce sont les signes d’un stress chroniques.
D’autres études montrent l’intérêt de l’hébergement
en dyade ou en groupe (Wells, 2004; Rooney, 2009). Néanmoins il faut prendre en
compte le degré de socialité des chiens et la « compatibilité » des
individus pour diminuer le risque de générer des situations stressantes
(conflits, blessures,…).
Si l’hébergement en dyade ou en groupe est
impossible, il est important que les chiens gardent la possibilité d’un contact
visuel. Les chiens hébergés seuls passent plus de temps dans la partie de
l’enclos où ils peuvent apercevoir d’autres chiens (Wells et Hepper, 1998).
Stress et
enrichissement du milieu.
On considère comme un enrichissement du milieu
toute modification environnemental s’avérant bénéfique/améliorant le
fonctionnement biologique de l’animal et amélioration du niveau de Bien Être (Newberry,
1995). Ces aménagements ne sont pas une simple augmentation du niveau de
stimulation ou une complexification de l’environnement : ils doivent
favoriser l’expression du répertoire comportemental de l’espèce.
Les niches qui
sont obligatoires pour protéger les animaux des intempéries et du soleil,
procurent également la possibilité de s’isoler. Elles peuvent aussi être
imaginées comme des promontoires permettant au chien d’observer l’ensemble de
l’enclos et de mieux contrôler son environnement (Hubrecht, 1993; Rooney,
2009). On envisage ainsi l’aménagement du chenil non plus en 2 mais en 3
dimensions.
Le
comportement de fourragement est à la fois un comportement exploratoire et
alimentaire, il représente un budget-temps certain qui peut-être variable selon
les espèces. Il peut être intéressant de favoriser ce comportement par des
jouets distributeurs de nourriture. Schipper et al. (2008) étudient la répartition
de la ration alimentaire par l’introduction d’un Kong TM :
cette nouvelle méthode de distribution induit une diminution de la fréquence
d’aboiement. Le retrait du Kong TM
induit augmentation taux de cortisol (Hihy et al. 2005).
Stress et
contact humain.
Les interactions
avec l’humains sont souvent rapportée comme une des meilleures méthodes
d’ « enrichissement » (Tuber et al, 1999; Wells, 2004; Rooney,
2009).
Néanmoins, il faut au préalable évaluer le degré et la nature de
l’expérience avec humain pour éviter d’imposer des stimulations stressantes.
Un contact quotidien avec l’humain dès la
première semaine qui suit l’arrivée dans un refuge induit une diminution
considérable du taux de cortisol (Copppola et al. 2006). Ces valeurs sont aussi
diminuées sur des chiens en chenil caressés quotidiennement (Hennessy et al.
1998). On notera que le taux de cortisol est plus bas lors d’interactions avec
une femme inconnue que lors d’interactions avec un homme inconnu (Hennessy et
al. 1997). La mise en place d’entraînements réguliers avec des renforcements
positifs (récompenses alimentaires) ont un caractère prévisible et apaisant permettant
un contrôle du chien sur l’environnement.
Pour conclure :
Les pathologies organiques liées au stress sont
facile à envisager lorsqu’elles surviennent suite à une modification des conditions
de vie (logements, enrichissements, perte ou introduction d’un congénère…). La grande
difficulté est de faire la part des choses lors de pathologies chroniques car
elles risquent d’être considérées comme « normales »… il faut alors
s’interroger sur la conduite d’élevage ET sur le facteur stress imposé aux
individus…et ne pas considérer la situation comme une fatalité.
Hélas les études dans le domaine des collectivités canines sont trop
rares pour pouvoir en tirer des généralités applicables à tous les élevages,
contrairement à la situation des élevages de production porcins ou aviaires.
Néanmoins toutes les études citées doivent être considérées comme des éléments
majeurs de réflexion quant à l’organisation des collectivités canines. Elles
doivent également inciter à l’observation des individus et des signes
comportementaux de souffrance.
En terme de rentabilité et dans l’état actuel des connaissances
scientifiques des collectivités de chiens, il est plus cohérent de viser à
réduire les frais liés aux pathologies chroniques dues au stress plutôt que d’envisager un
abord productiviste qui vise à contrôler tous les facteurs de production
(surface, hydrométrie, prophylaxies, aliments médicamenteux etc…).
De plus une approche intensive ne tient compte du bien-être animal que
d’un point de vue législatif dont nous avons vu le caractère parfois imprécis,
inadapté et arbitraire. Il y a fort à parier que ce type de démarche ne peut
pas optimiser la « production » d’individus équilibrés, stables et
socio-compétents. Il semble donc que des conduites d’élevage
« extensives » où l’on observe le bien-être comportemental des
individus donnent les meilleures chances de répondre aux demandes des
acquéreurs de chiots de compagnie et par là même valorisent l’image
d’excellence de l’élevage canin français.
Avec l'aide des chercheurs en éthologie du refuge AVA:
avarefuge76.com
Dr Antoine BOUVRESSE