Que reste-t-il de Canis lupus dans Canis familiaris ?
Remarques sur un débat sans fin
Résumé de
l’intervention d’ Adam Miklosi au congrès de la SEEVAD 2015
Le chien et le loup sont-ils deux espèces différentes ?
Il existe d’ailleurs deux manière de nommer le chien de compagnie : Canis familiaris et Canis lupus familiaris. La même année le journal « animal
cognition » a fait référence aux
chiens selon ces deux appellations. La terminologie Canis lupus familiaris était déjà d’employés il y a 20 ans par les
zoologistes. Le choix de la dénomination peut évidemment évoluer en fonction
des connaissances acquises.
Qu’est-ce qu’une espèce animale ?
Pour le grand public
une espèce représente un groupe d’individus qui peuvent se reproduire entre eux
(interbreeding). Dans cette définition le chien et le loup appartiendraient
alors à la même espèce ! D’un point
de vue écologique la notion d’espèce est indissociable de la notion de niches
écologiques. C’est ce qui fait que dans cette approche le chien et le loup sont
deux espèces distinctes car sans l’intervention de l’homme, dans la nature,
chien et loup ne se reproduirait que très rarement.
La domestication est le processus de spéciation qui a fait
apparaître le chien à partir d’un ancêtre canidés sauvages. De très nombreuses
études sont publiées depuis une quinzaine d’années pour prouver l’origine
géographique, la date, et l’ancêtre de Canis familiaris. Si une datation entre
16 000 et 32 000 ans semble faire consensus, en revanche les études s’opposent
sur les origines géographiques et biologiques de la domestication. Pour Adam
Miklosi, ces questions ont finalement peu d’importance.
Les deux questions majeures concernant la domestication
sont : quel type de comportement ont été la cible de la sélection amenant
à la domestication ? Et quelle a été la séquence des événements de cette
sélection ? Une des hypothèses de sélection dans la durée pourrait être
la séquence suivante :
Les gènes
de l’homme et du chimpanzé ne diffèrent que de 1 à 2 %. Le chien et le loup ne
se différencient que par 0,3 % de leur matériel génétique. Mais le matériel
génétique, les gènes et leurs produits(les protéines) constituent un réseau
complexe de mécanismes de régulation. Ainsi de petites mutations dans certains
gènes peuvent avoir des effets importants. Des mutations sur les récepteurs à
la dopamine (DRD4 ) peuvent en modifier le fonctionnement et modifier l’impulsivité
et la concentration de certains individus.
Sur ce
graphique l’axe horizontal représente l’âge des individus testés, l’axe
vertical représente les capacités sociales. En bas et à droit, vous pouvez voir
… Adam Miklosi !
Les courbes vertes sont
celles des loups, les courbes noires sont
celles des chiens. Les courbes pleines représentent les animaux, chiens et loups, ayant eu un plan de développement de
sociabilité intense. Les courbes en pointillé représentent des conditions de
développement social standards ou nulles.
On constate que le point de départ des courbes des chiens et
des loups n’est pas le même : c’est ce que Adam Miklosi appelle l’avantage
sélectif : à la naissance les chiens ont des attitudes sociales plus
importante que les loups. Pourtant on voit que dans un environnement de socialisation
intense les courbes des capacités sociales du chien et du loup tendent à se
rejoindre. A l’inverse on voit qu’un chiot qui n’est pas du tout stimulé
socialement aura les mêmes capacités sociales qu’un loup qui se développent
dans des conditions standards.
L’avantage sélectif, à support génétique, ne représentent
donc qu’un potentiel qui ne pourra
s’exprimer que dans un environnement favorable.
Si l’on compare les aptitudes du chien et du loup lors d’un
test de pointé (trouver le réceptacle qui contient de la nourriture indiqué par
un mouvement du bras de l’opérateur), le chiot de quatre mois est beaucoup plus
performant que le loup du même âge. Mais les différences de performance entre
les chiots et les louveteaux s’estompent avec l’âge si les loups sont élevés
avec des humains. Il y a donc un changement dans les capacités cognitives :
ils apprennent à performer et à
collaborer dans cette tâche. Pour le chien cette collaboration est beaucoup
plus facile et naturelle, les chiens sont génétiquement préparé à interagir avec
l’homme. Les loups quant à eux doivent expérimenter ,apprendre, répéter.
Si l’on teste l’attention visuelle en comptant le nombre de
regards spontanés vers l’humain, on constate que:
-à l’âge de
trois semaines ni les chiots ni les louveteaux ne regardent l’humain
-à l’âge de
quatre semaines le chiot commence à regarder vers l’humain alors que le louveteau
ne le regarde pas. Mais il n’y a pas de différence statistiquement significative.
-à l’âge de
cinq semaines le chiot regarde énormément l’humain spontanément, le louveteau
le regarde un peu. La différence est alors statistiquement significative (p<
0.05)
Dans une autre expérience sur des chiots et des louveteaux
de cinq à neuf semaines si l’on renforce les regards vers l’humain on constate
que :
- pour le
chiot de cinq semaines ou de neuf semaines le nombre de regards augmente entre la
1ere et la 4ème minute d’interaction (3 regards lors de la première
minute, 9 regards lors de la quatrième minute)
- pour le
louveteau de neuf semaines le nombre de regards restent constants : 2 à 3
regards lors de la 1ère comme lors de la 4ème minute
d’interaction malgré les renforcements.
Pour Adam
Miklosi : « pour comprendre le comportement des chiens nous avons
besoin d’une bonne compréhension à la fois de la génétique et des effets
possibles de l’environnement. La communauté scientifique doit travailler avec
plus d’insistance à étudier le développement du chien si elle veut comprendre
les mécanismes biologiques du comportement canin »
Dr Antoine BOUVRESSE
Vétérinaire comportementaliste DENVF