EMOTIONS, ETATS EMOTIONNELS ET
HUMEURS.
Réflexion sur une nouvelle manière d’appréhender et
décrire les états émotionnels des animaux en pratique courante.
Les préoccupations en matière de
bien-être animal reposent sur l’acceptation que les animaux sont des êtres
sensibles et donc qu’ils peuvent ressentir des émotions. Comprendre et étudier
les émotions des êtres vivants (humains ou animaux) nécessite d’aborder des
disciplines variées, allant des neurosciences à l’étude du bien-être animal.
Les émotions : définitions et limites
On peut définir les émotions
comme « des réactions intenses et fugaces liées à un changement de
l’environnement qui vont entrainer une réponse physique » (Boissy A., 2007).
Par exemple la peur (émotion) d’un bruit (changement de l’environnement) qui va entrainer la fuite (réponse
comportementale). La colère qui va entrainer l’agression, etc… Ainsi les
émotions sont par définition fugaces, parfois violents, toujours visibles et
elles précèdent un comportement. D’un point de vue fonctionnel, il semblerait
qu’une émotion apparaisse chez les mammifères pour signaler les changements
(réels ou imaginaires) dans les relations entre un individu et son
environnement (Weiss A., 2010).
L’étude de ces émotions commence très tôt puisque dès 1872, Darwin
décrit et interprète l’expression comportementale de différentes émotions chez
les humains et les animaux.
Nommées également émotions de base, (« basic emotion » ou
« discrete emotion »), elles sont d’abord étudiées individuellement
d’un point de vue physiologique et selon des conditions contrôlées censées
provoquer l’émotion étudiée (chocs électriques, privations etc…). Elles peuvent
donc être aisément mesurées par des paramètres biologiques : soit des
valeurs physiologiques de fréquence cardiaques, de pression artérielles etc… soit,
plus récemment des paramètres neuro-anatomiques comme l’activation de
différentes zones cérébrales spécifiques. En outre, la recherche sur le
bien-être des animaux s’est généralement limitée à des indicateurs de stress
sans pour autant pouvoir les relier à l’existence d'états affectifs de
bien-être (Boissy, 2010).
Enfin, ces études des émotions de
base ne permettent pas d’appréhender la manière dont ces situations sont
ressenties par les animaux. Le vécu émotionnel des animaux n’est pas mesurable
et du fait de l’absence de langage verbal, il est nécessaire de passer de la
simple description des comportements de l’animal à la compréhension de leurs
états affectifs.
Des approches sur le ressenti des émotions ont été menées sur des
humains par des psychologues (Russell & Barrett, 1999). Il en ressort
une approche « dimensionnelle » dans laquelle les émotions peuvent être
décrites et localisées dans un espace à 2 dimensions (Cf schéma 1). Ainsi toute
émotion peut être ressentie comme la combinaison de deux variables: la valence
et le niveau d’activité. La valence est un ressenti subjectif agréable ou
désagréable. Le niveau d’éveil (arousal) est un état subjectif ressenti d’activité
ou de non-activité. Ces sont ces deux variable qui semblent le mieux parvenir à
décrire les états émotionnels humains (Russell, 1998).
Ainsi les émotions « calme » et
« excité » ont une valence positive (V+) et se trouveront dans la
partie droite du schéma 1. Mais le niveau d’activation « excité » est
positive (cadran Q1) alors que l’état « calme » renvoie à un
« arousal » inactif (cadran Q2).
Les états émotionnels positifs (V+) sont représentés par les cadrans
Q1 et Q2. Inversement, les états émotionnels négatifs (V-) se situent dans les
cadrans Q3 et Q4.
Il est alors possible de situer les émotions de base dans ce modèle bidimensionnel
en fonction de leur ressenti subjectif et non en fonction de mesures
biologiques. Les expériences subjectives que l’on peut caractériser par ces
dimensions de VALENCE et d’ACTIVITÉ sont appelées « core affect »,
états émotionnels ou état affectif (Mendl & al., 2010).
Répétitions des expériences émotionnels et apprentissages
Nous avons vu que les émotions et
les états émotionnels étaient des réponses à des stimuli ou des situations qui
sont potentiellement gratifiantes (récompense) ou pénalisantes (punition). Les
systèmes de punition-récompense sont donc au cœur des états émotionnels.
Le cadran Q1 (états émotionnels
positifs et en activités) est associé aux activités appétitives dont le but est
de rechercher et d’obtenir des « récompenses » (proie, partenaire
sexuel, etc…). A l’inverse, le cadran Q3
(valence négative et bas niveau d’activité) est associé des expériences de
« manque de récompense » ou d’échecs (tristesse, déprime,…) dans un
environnement pauvre en ressource. Ainsi, dans le schéma 1, la flèche Q1 - Q3 représente le
« système d’acquisition des récompenses ».
De la même manière, l’axe Q2 - Q4 est considéré comme le
« système d’évitement des punitions » et en particulier de la
peur : le cadran Q4 (valence négative et haute activité) regroupe les
états émotionnels de réponse au danger. Le cadran Q2 (valence positive et
faible niveau d’activité) représente les états affectifs liés à l’absence de
danger (calme, apaisement).
Ces axes nous permettent d’envisager une vision dynamique des modifications
des états émotionnels. Ainsi lors d’une action de chasse, la motivation d’un
animal et son activité croissante (recherche, course …) le placeront dans le
cadran Q1 (Cf figure 2). S’en suit une phase de consommation, dont le niveau
d’activité est plus bas, mais la valence toujours fortement positive (Cf
flèche verte Q1 -> Q2). Puis une
phase post-consommatoire de de contentement et un retour à la neutralité. Mais
en cas d’échec de l’action de chasse, la valence bascule vers le négatif (Q1
-> Q4) avec encore un fort niveau d’activité (frustration). La baisse du
niveau d’activité, toujours dans une valence négative d’échec aboutit à un état
de tristesse (Q4 -> Q3).
Selon l’environnement, les
niveaux de ressources et les capacités de l’animal, ces cycles peuvent se
répéter de très nombreuses fois. L’animal est donc sujet au même enchainement
d’état émotionnels et de situations d’échecs ou de succès. Ce sont ces
successions d’émotions brèves répétées qui vont dessiner les humeurs à long
terme (« long term mood ») d’un individu.
Long term moods et prises de décisions.
L’humeur d’un individu, contrairement aux
émotions de base, ne dépend pas des changements immédiats de
l’environnement : c’est une « toile de fond émotionnel ». Cela
n’empêche pas un individu d’humeur morose d’avoir, selon les circonstances, des
émotions de joie intenses.
Ces « long term moods » ont une importance capitale car
elles influencent les prises de décision d’un individu. En effet, si une humeur
« craintive » s’est installée à la suite de nombreuses expériences
d’échecs et de peurs (émotion), il y a une forte probabilité pour que les
réponses suivantes de cet individu suivent la même réponse, confortant son
« humeur craintive ». Cela est
d’autant plus vrai dans les situations ambiguës, car tout individu, quel
que soit son humeur à long terme va fuir devant un prédateur menaçant
(situation non ambiguë).
Par exemple, un individu qui est obligé de
fuir de nombreuses fois chaque jour devant un prédateur (système émotionnel
d’évitement de la peur) aura probablement une humeur à long terme
« craintive ». Si cet animal voit des buissons bouger devant lui, il
s’enfuira avant de savoir s’il s’agit d’un prédateur.
Les expériences émotionnelles
répétées façonnent l’humeur à long terme qui influence les prises de décision
d’un individu. On pourra remarquer que dans ce cas, les humeurs à long terme
peuvent revêtir un caractère adaptatif puisqu’il majore les comportements de
fuites dans environnement expérimenté comme dangereux.
On pourrait parler de cercle vicieux en ce sens que la probabilité
d’un échec est d’autant plus grande que les échecs ont été nombreux. En effet,
la mise en place de certaines représentations mentales à long terme, humeurs ou
représentations cognitives, vont influencer nos décisions et nos capacités.
Pour nos animaux de compagnie,
la mise en pratique de ces états émotionnels et de leur influence à long terme
peut être envisagée dans de très nombreux processus d’apprentissage. Quel est
l’état émotionnel d’un animal qui est corrigé physiquement pour marcher en
laisse ? Quelles sont ses probabilités de succès à long terme sachant
qu’il évolue sur « l’axe d’évitement des punitions » ?
Inversement, il y a fort à parier que ce chien, dont les séances ne se
finissent jamais en situation d’échec mais par des valences positives
systématiques exprimera des émotions et des humeurs à long terme qui le
placeront dans un cercle vertueux de réussite.
Dr Antoine BOUVRESSE pour la SFC
RÉFÉRENCES :
Boissy, A., et al. (2007). Assessment of positive emotions in
animals to improve their welfare. Physiol. Behav. 92, 375—397.
Barrett, L. F. (1998). Discrete
emotions or dimensions? The role of valence focus and arousal focus. Cognition & emotion. 12 (4), 579-599.
Darwin,
C. (1872). The expression of emotions in man and animals. London, UK: Harper
perennial.
Mendl,
M. (2013). Emotions, moods and decision-making. In: IEC & ASAB, Behaviour
2013. Newcastle: UK, 4-8 Août 2013.
Mendl,
M., Burman, O. H. P., Paul, E. S. (2010). An integrative
and functional framework for the study of animal emotion and mood. Proc. R. Soc. B 277, 2895–2904
Russell,
J. A. & Barrett, L. F. (1999). Core affect, prototypical emotional
episodes, and other things called emotion: dissecting the elephant. J. Pers. Soc. Psychol. 76,
805–819.
Weiss, A. (2010). L’approche EMRA. In :
Bedossa T., Deputte B.L. (2010). Comportement
et éducation du chien. Dijon : Educagri éditions. 227-244.