jeudi 10 octobre 2013

Émotions, états émotionnels et humeurs.





EMOTIONS, ETATS EMOTIONNELS ET HUMEURS.

Réflexion sur une nouvelle manière d’appréhender et décrire  les états émotionnels des animaux en pratique courante.



Les préoccupations en matière de bien-être animal reposent sur l’acceptation que les animaux sont des êtres sensibles et donc qu’ils peuvent ressentir des émotions. Comprendre et étudier les émotions des êtres vivants (humains ou animaux) nécessite d’aborder des disciplines variées, allant des neurosciences à l’étude du bien-être animal.


Les émotions : définitions et limites


On peut définir les émotions comme « des réactions intenses et fugaces liées à un changement de l’environnement qui vont entrainer une réponse physique » (Boissy A., 2007). Par  exemple la peur (émotion)  d’un bruit (changement de l’environnement)  qui va entrainer la fuite (réponse comportementale). La colère qui va entrainer l’agression, etc… Ainsi les émotions sont par définition fugaces, parfois violents, toujours visibles et elles précèdent un comportement. D’un point de vue fonctionnel, il semblerait qu’une émotion apparaisse chez les mammifères pour signaler les changements (réels ou imaginaires) dans les relations entre un individu et son environnement (Weiss A., 2010).


L’étude de ces émotions commence très tôt puisque dès 1872, Darwin décrit et interprète l’expression comportementale de différentes émotions chez les humains et les animaux.
Nommées également émotions de base, (« basic emotion » ou « discrete emotion »), elles sont d’abord étudiées individuellement d’un point de vue physiologique et selon des conditions contrôlées censées provoquer l’émotion étudiée (chocs électriques, privations etc…). Elles peuvent donc être aisément mesurées par des paramètres biologiques : soit des valeurs physiologiques de fréquence cardiaques, de pression artérielles etc… soit, plus récemment des paramètres neuro-anatomiques comme l’activation de différentes zones cérébrales spécifiques. En outre, la recherche sur le bien-être des animaux s’est généralement limitée à des indicateurs de stress sans pour autant pouvoir les relier à l’existence d'états affectifs de bien-être (Boissy, 2010).

Enfin, ces études des émotions de base ne permettent pas d’appréhender la manière dont ces situations sont ressenties par les animaux. Le vécu émotionnel des animaux n’est pas mesurable et du fait de l’absence de langage verbal, il est nécessaire de passer de la simple description des comportements de l’animal à la compréhension de leurs états affectifs. 

Des approches sur le ressenti des émotions ont été menées sur des humains par des psychologues (Russell & Barrett, 1999). Il en ressort une approche « dimensionnelle » dans laquelle les émotions peuvent être décrites et localisées dans un espace à 2 dimensions (Cf schéma 1). Ainsi toute émotion peut être ressentie comme la combinaison de deux variables: la valence et le niveau d’activité. La valence est un ressenti subjectif agréable ou désagréable. Le niveau d’éveil (arousal) est un état subjectif ressenti d’activité ou de non-activité. Ces sont ces deux variable qui semblent le mieux parvenir à décrire les états émotionnels humains (Russell, 1998).

Ainsi les émotions « calme » et « excité » ont une valence positive (V+) et se trouveront dans la partie droite du schéma 1. Mais le niveau d’activation « excité » est positive (cadran Q1) alors que l’état « calme » renvoie à un « arousal » inactif (cadran Q2). 



Les états émotionnels positifs (V+) sont représentés par les cadrans Q1 et Q2. Inversement, les états émotionnels négatifs (V-) se situent dans les cadrans Q3 et Q4.
Il est alors possible de situer les émotions de base dans ce modèle bidimensionnel en fonction de leur ressenti subjectif et non en fonction de mesures biologiques. Les expériences subjectives que l’on peut caractériser par ces dimensions de VALENCE et d’ACTIVITÉ sont appelées « core affect », états émotionnels ou état affectif (Mendl & al., 2010). 


 

Répétitions des expériences émotionnels et apprentissages


Nous avons vu que les émotions et les états émotionnels étaient des réponses à des stimuli ou des situations qui sont potentiellement gratifiantes (récompense) ou pénalisantes (punition). Les systèmes de punition-récompense sont donc au cœur des états émotionnels.
Le cadran Q1 (états émotionnels positifs et en activités) est associé aux activités appétitives dont le but est de rechercher et d’obtenir des « récompenses » (proie, partenaire sexuel, etc…).  A l’inverse, le cadran Q3 (valence négative et bas niveau d’activité) est associé des expériences de « manque de récompense » ou d’échecs (tristesse, déprime,…) dans un environnement pauvre en ressource. Ainsi, dans le schéma 1, la flèche Q1 - Q3 représente le « système d’acquisition des récompenses ».

De la même manière, l’axe Q2 - Q4 est considéré comme le « système d’évitement des punitions » et en particulier de la peur : le cadran Q4 (valence négative et haute activité) regroupe les états émotionnels de réponse au danger. Le cadran Q2 (valence positive et faible niveau d’activité) représente les états affectifs liés à l’absence de danger (calme, apaisement).


Ces axes nous permettent d’envisager une vision dynamique des modifications des états émotionnels. Ainsi lors d’une action de chasse, la motivation d’un animal et son activité croissante (recherche, course …) le placeront dans le cadran Q1 (Cf figure 2). S’en suit une phase de consommation, dont le niveau d’activité est plus bas, mais la valence toujours fortement positive (Cf flèche verte  Q1 -> Q2). Puis une phase post-consommatoire de de contentement et un retour à la neutralité. Mais en cas d’échec de l’action de chasse, la valence bascule vers le négatif (Q1 -> Q4) avec encore un fort niveau d’activité (frustration). La baisse du niveau d’activité, toujours dans une valence négative d’échec aboutit à un état de tristesse (Q4 -> Q3).





Selon l’environnement, les niveaux de ressources et les capacités de l’animal, ces cycles peuvent se répéter de très nombreuses fois. L’animal est donc sujet au même enchainement d’état émotionnels et de situations d’échecs ou de succès. Ce sont ces successions d’émotions brèves répétées qui vont dessiner les humeurs à long terme (« long term mood ») d’un individu.





Long term moods et prises de décisions.


 L’humeur d’un individu, contrairement aux émotions de base, ne dépend pas des changements immédiats de l’environnement : c’est une « toile de fond émotionnel ». Cela n’empêche pas un individu d’humeur morose d’avoir, selon les circonstances, des émotions de joie intenses.
Ces « long term moods » ont une importance capitale car elles influencent les prises de décision d’un individu. En effet, si une humeur « craintive » s’est installée à la suite de nombreuses expériences d’échecs et de peurs (émotion), il y a une forte probabilité pour que les réponses suivantes de cet individu suivent la même réponse, confortant son « humeur craintive ». Cela est d’autant plus vrai dans les situations ambiguës, car tout individu, quel que soit son humeur à long terme va fuir devant un prédateur menaçant (situation non ambiguë).
 Par exemple, un individu qui est obligé de fuir de nombreuses fois chaque jour devant un prédateur (système émotionnel d’évitement de la peur) aura probablement une humeur à long terme « craintive ». Si cet animal voit des buissons bouger devant lui, il s’enfuira avant de savoir s’il s’agit d’un prédateur.

 Les expériences émotionnelles répétées façonnent l’humeur à long terme qui influence les prises de décision d’un individu. On pourra remarquer que dans ce cas, les humeurs à long terme peuvent revêtir un caractère adaptatif puisqu’il majore les comportements de fuites dans environnement expérimenté comme dangereux.

On pourrait parler de cercle vicieux en ce sens que la probabilité d’un échec est d’autant plus grande que les échecs ont été nombreux. En effet, la mise en place de certaines représentations mentales à long terme, humeurs ou représentations cognitives, vont influencer nos décisions et nos capacités.


Pour nos animaux de compagnie, la mise en pratique de ces états émotionnels et de leur influence à long terme peut être envisagée dans de très nombreux processus d’apprentissage. Quel est l’état émotionnel d’un animal qui est corrigé physiquement pour marcher en laisse ? Quelles sont ses probabilités de succès à long terme sachant qu’il évolue sur « l’axe d’évitement des punitions » ?

Inversement, il y a fort à parier que ce chien, dont les séances ne se finissent jamais en situation d’échec mais par des valences positives systématiques exprimera des émotions et des humeurs à long terme qui le placeront dans un cercle vertueux de réussite.
 

Dr Antoine BOUVRESSE pour la SFC




RÉFÉRENCES :

Boissy, A., et al. (2007). Assessment of positive emotions in animals to improve their welfare. Physiol. Behav. 92, 375—397.

Boissy, A. (2010). Décrypter les émotions des animaux pour comprendre leur bien-être. In : INRA, De la douleur au bien-être des animaux d’élevage. Clermont-Ferrand, France, le 08 Octobre 2010. Disponible sur: http://www4.inra.fr/agri_bien_etre_animal/Le-reseau-AgriBEA/Productions-du-reseau/2010/Decrypter-les-emotions-des-animaux-pour-comprendre-leur-bien-etre-A.-Boissy-08-10-2010

Barrett, L. F. (1998). Discrete emotions or dimensions? The role of valence focus and arousal focus. Cognition & emotion. 12 (4), 579-599.
Darwin, C. (1872). The expression of emotions in man and animals. London, UK: Harper perennial.

Mendl, M. (2013). Emotions, moods and decision-making. In: IEC & ASAB, Behaviour 2013. Newcastle: UK, 4-8 Août 2013.

Mendl, M., Burman, O. H. P., Paul, E. S. (2010). An integrative and functional framework for the study of animal emotion and mood. Proc. R. Soc. B 277, 2895–2904

Russell, J. A. & Barrett, L. F. (1999). Core affect, prototypical emotional episodes, and other things called emotion: dissecting the elephant. J. Pers. Soc. Psychol. 76, 805–819.

Weiss, A. (2010). L’approche EMRA. In : Bedossa T., Deputte B.L. (2010). Comportement et éducation du chien. Dijon : Educagri éditions. 227-244.


2 commentaires:

  1. Bonjour Docteur , j'ai le privilège de m'occuper et réfléchir au sujet d'un Drattar de 4 ans . Il est partagé entre une chaleureuse vie de famille , un compagnon Drattar 5 ans plus âgé , et des chasses avec un maître calme et posé. Eliot est un chien enjoué +++ , que j'oserai donc situer en Q1 et Q2 supérieur (détendu jusqu'à l'inattention) . Au cap de ses 4 ans le voilà devenu encore plus ingérable tant à la maison qu'en action de chasse. C'est un chien au "moral d'acier" , toujours heureux et satisfait de son sort. Mais en electron libre. Beaucoup de choses ont été mises en œuvre pour le canaliser , l’apaiser , le calmer physiquement : rien n'y fait. Sa maîtresse est lasse de cette tornade envahissante de gentillesse , son maître ne vit que des fiascos à la chasse et récemment il cherche la bagarre auprès de ses congénères sitôt que l'action de chasse est terminée . Il est très bien éduqué mécaniquement parlant , donc juguler ses ardeurs est facile : un assis suffit mais cela ne règle en aucun cas le problème présenté . Auriez vous une idée à me soumettre ? Merci ! :)

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    1. Bonjour, je n'ai pas pu vous répondre plus tot, je m'en excuse, mais je ne vous ai pas oublié! Je ne saurai répondre sur un cas particulier sans pouvoir observer longuement un chien. mais peut-être que ce nouvel article pourra vous apporter des éléments de réponse? Cordialement
      http://veterinaire-comportement.blogspot.fr/2013/11/chien-destructeur-une-nouvelle-approche.html

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